Triton, un boulet qui donne des ailes

Triton, c’est une histoire incroyable entre un chien de la rue et deux voyageurs à vélos qui détestent les chiens !


Micka s’est fait mordre par un berger allemand à l’âge de sept ans. Depuis, il a la phobie des chiens bien que le temps fasse office de thérapie. En Argentine, lors de nos premiers coups de pédales nous nous sommes faits attaquer. Micka a dit à Pauline « c’est vraiment la pire espèce animale qui existe sur Terre ». Elle n’est pas non plus la meilleure amie des chiens, notamment à cause d’autres frayeurs vécues en Auvergne.

Tout commence dans un petit village de l’altiplano bolivien à près de 4000m. Nous nous arrêtons pour manger. Un chien vient renifler le peu de nourriture que nous avons. Nous le repoussons et le chassons. Pauline va jeter des emballages à la poubelle et le voilà qui revient au galop et souhaite s’amuser avec elle. Nous partons. Le chien suit.

A la fin de la journée nous lui donnons le nom de Triton pour déconner, le nom d’un biscuit noir et blanc que nous a fait découvrir qui en mangeait tant et avec qui nous avons roulé un mois au Chili. Le chien fait le pitre, enchaine les allers-retours, chasse tout ce qui bouge et s’amuse avec des bouts de tissus trouvés au bord de la route.

Triton nous suit jusqu’à notre campement, soit 20km de chevauchée environ. Alors que nous établissons notre quartier, il chasse des ânes qui n’ont rien demandé et obtient ainsi sa première réprimande de notre part…

Il s’installe au bord de la tente pour la nuit. La température est négative et nous sommes surpris de le voir à côté de la toile au petit matin. Nous pensions qu’il aurait regagné la route et continué sa vie de vagabond. Il a en réalité guetté tout la nuit et nous l’avons parfois entendu grogner contre divers animaux de passage.
 
Première nuit avec Triton dans le désert bolivien (3900m)

Nous reprenons la route. La chance pour lui est que la piste est à la fois défoncée et ne descend pas trop. Il peut ainsi nous suivre car notre allure est lente. Nous croisons une dame travaillant dans un champ de quinoa. Elle veut le chien. Nous lui disons que ce n’est pas le nôtre et qu’elle n’a qu’à le prendre. Elle l’appâte avec de la nourriture et nous partons. Cent mètres plus tard, le voilà en train de nous rattraper au galop. Après 35km, nous regagnons un village et allons à l’auberge après deux semaines sans douche ! « L’hôtel » ne souhaite pas qu’il dorme dans notre chambre, ni lui fournir une couverture pour la nuit. C’est la seule et unique fois qu’il dormira dehors lorsque nous avons logé à l’hôtel par la suite. Nous allons acheter de la nourriture dans le village et il nous suit partout, entrant dans un premier temps dans les échoppes puis attendant patiemment sur le perron. Il apprend vite !

Le lendemain matin, il est exténué. Il ne peut même plus trotter et marche comme un vieillard. Nous le laissons à l’auberge et pensons qu’il sera bien dans ce petit village. Alors que nous sortons du village, le voilà gémissant derrière nous. Nous nous arrêtons. Nous ne savons que faire. Une grosse journée nous attend, il ne peut nous suivre. Nous récupérons un bout de carton que nous mettons à l’arrière du vélo de Pauline. Nous mettons le chien dessus. Mais il tombe ou bien il saute dès qu’une voiture passe. Ce n’est pas gérable. Le village est toujours en vue et nous voulons le ramener.
 
Premier essai : Triton sur un bout de carton entre les sacoches de Pauline. Echec!

Finalement nous tentons un dernier essai. Micka donne son sac se trouvant sur ses sacoches à Pauline qui récupère ainsi près de 10kg et on met le chien sur les miennes qui offrent un espace plus plat Le chien s’en accommode et nous commençons enfin à avancer…

Deuxième essai : Triton sur un bout de carton sur les sacoches de Micka, ce n’est pas encore ça !

Nous avons ensuite un col à escalader et cheminons au pas ce qui nous permet de laisser Triton marcher de nouveau, mais il n’est pas en forme. Arrive alors la descente, nous remettons Triton sur mes sacoches mais la route est chaotique et le chien tombe à plusieurs reprises. Nous sommes obligés de le laisser marcher. Cela devient un cauchemar de le voir souffrir et gémir dès que nous sommes trop loin devant. Nous l’attendons car le laisser là, en plein désert montagneux à 4000m, équivaudrait à une condamnation à mort. Après une ultime petite frayeur face à deux chiens fous furieux, nous arrivons épuisés nerveusement à notre village étape.

Jour 4 avec Triton, nous cherchons une caisse en carton. Nous en trouvons une pleine de fientes d’oiseau, mais cela fera très bien l’affaire. Nous l’arrimons sur le porte bagage arrière de Pauline et je récupère mon sac. Nous trouvons aussi un vieux pantalon au bord de la route que nous mettons au fond de la caisse. Pour la première fois, nous arrivons à le transporter convenablement. L’histoire est en marche…

Troisième essai, nouveau concept de covoiturage validé !

Jour 5 et 6 : nous décidons de l’emmener à l’autre bout du salar d’Uyuni et d’établir quelques règles de vie sans pour autant penser le garder. Il n’a pas le droit d’aboyer, encore moins de mordre, et il doit s’assoir avant de manger. La nourriture d’ailleurs, voilà un sujet de dispute (y compris entre) qui va nous suivre jusqu’à la fin du voyage. Bien que maigre, Triton n’avale rien mis à part de la viande et… des mandarines ! Deux choses difficiles à trouver ici. C’est donc un système D qui se met en place. A chaque village traversé (soit un par jour environ), nous cherchons dans les poubelles et les coins susceptibles d’héberger quelques os. Au jour 6 nous laissons Triton s’amuser à courir après les vigognes toute la journée. Cela nous détend au cours d’une des pires journées en Bolivie car nous faisons face à du sable puis de la tôle ondulée jusqu’au soleil couchant. Nous arrivons aux portes du salar d’Uyuni. 

Un peu de bac à sable avant le salar !

Nous trouvons un hôtel et nous disons que nous dormirons sous la tente au cas où Triton ne serait pas accepté dans la chambre. C’est un peu une tactique de requin, mais cela a marché pour ce soir : Triton dormira au chaud à nos côtés !

Jour 7 : une heure du matin, Triton urine dans la chambre. Nous le mettons dehors à -5°C pour le reste de la nuit. C’est dur mais nous voulons l’éduquer. Le matin nous le trouvons derrière la porte.

Grave erreur de l’avoir laissé courir après les vigognes hier : il a des courbatures si fortes qu’il ne peut même pas marcher. Ce n’est pas grave puisque nous entrons sur le salar, une surface bien trop abrasive pour ses coussinets. Nous le mettons au repos forcé pour deux jours dans son carton.

Triton découvre l’un des joyaux de son pays

Jour 8 : nous dormons au milieu du salar sur une île habitée. Nous trouvons un carton plus grand ainsi qu’une peau de mouton. Son confort sur le vélo s’améliore. Il va garder cette niche ambulante qui devient son repère jusqu’au terminus du voyage.

Jour 10 : arrivés à l’autre bout du salar la veille, nous partons au milieu de la nuit pour grimper le volcan Tunupa. Nous laissons au village Triton qui ne s’aperçoit même pas de notre départ. De retour de notre ascension le soir, il nous fait une fête d’enfer. Nous passons un cap en terme de complicité avec lui bien que nous le grondions fermement tous les jours dès qu’il fait une bêtise. Triton respecte désormais l’interdiction d’entrer dans la tente et dort sous l’abside de celle-ci dans sa caisse.

La vie s’organise à trois

Jour 11 : nous décidons de parcourir de nouveau le salar d'Uyuni… afin d’en rejoindre un autre pour le traverser aussi ! Nous logeons le soir à l’hôtel dans un village où nous trouvons pour la première fois de la viande à acheter pour Triton. Ce sera du lama ! A noter que Triton répond désormais à l’appel de son nom.

Jour 12 : alors que nous reprenons la route, nous perdons le chien. Micka retourne à l’hôtel et le retrouve sur le palier de la porte. Ouf ! Micka rejoint Pauline. Triton se fait attaquer par deux chiens sous nos yeux et part dans une rue. Micka essaie de le rattraper mais en vain. Il retourne à l’hôtel, personne. Micka fait un premier tour de rue en l’appelant, personne. Il fait un deuxième tour, toujours pas de Triton. Incroyable ! Nous sommes dégoutés que cela se termine ainsi. Nous décidons de rester une nuit de plus et de partir à sa recherche. Nous cherchons toute l’après-midi en vain. Nous soupçonnons la gérante de l’hôtel qui a un comportement suspect. Plusieurs fois elle nous avait demandé de le lui laisser. Nous craignons qu’il soit revenu à l’hôtel et qu’elle l’ait enfermé quelque part.

Nous tentons le tout pour le tout. Nous allons alerter les militaires puisqu’il y a un détachement ici. Nous apprenons aussi qu’il y a une radio au village, alors nous allons passer une annonce. Curieusement on nous demande si nous offrons une récompense pour le cas où on nous le ramènerait. Bien sûr, nous refusons. Nous nous couchons sans Triton, dépités, à la fois impuissant et avec le sentiment de n’avoir pas fait assez attention.

Jour 13 : pas de Triton. Il a bel et bien disparu Nous nous rendons compte que nous avons perdu un compagnon qui nous était cher. C’est la soupe à la grimace au petit-déjeuner. Mais le mari de la gérante nous dit qu’il y a un chien en bas de l’hôtel. Nous sommes au premier étage et allons à la fenêtre. Incroyable, Triton est en bas ! Nous descendons comme des fous, Triton entre dans l’hôtel, il saute partout pendant un quart d’heure ! Quelle joie ! Nous prenons conscience qu’une histoire fabuleuse est en train de naître. Nous repartons motivés comme jamais pour nous occuper de lui avec l’espoir de lui trouver une bonne famille pour l’accueillir avant notre sortie de Bolivie.


Jour 26 : nous quittons la Bolivie. Nombreuses ont été les personnes insistantes nous ayant demandé de leur donner le chien, parfois même contre de l’argent. Ne connaissant pas les motivations futures de ces individus à son sujet, nous avons à chaque fois refusé. Nous ne le sentons pas en sécurité en Bolivie et craignons qu'on le vole voire qu'on l'utilise dans un but lucratif.

Instant détente au moment du déjeuner

Nous arrivons à la frontière et souhaitons faire passer Triton malgré qu'il nous soit interdit de le faire. Il n’a aucun papier, aucune vaccination…

Nous arrivons au poste de sortie bolivien. Il y a une longue queue dans la rue au milieu d’une marée humaine de gens à pied ou en vélo-taxi chargés à bloc. Pauline fait la queue pendant que Micka garde les vélos. Le plan pour continuer l’aventure avec Triton était de passer la frontière en le laissant gambader derrière nous. Comme il nous suit toujours, nous aurions fait comme si ce n’était pas le nôtre. Mais notre stratégie tombe à l’eau tellement il y a de monde, Triton perdrait les vélos en moins de dix secondes.

Lorsque Pauline a fait tamponner son passeport de sortie, elle remplace Micka à la surveillance des vélos et Micka double tout le monde afin qu’on identifie son visage et qu’on lui tamponne son passeport. Nous pouvons désormais passer le pont et nous rendre cent mètres plus loin pour refaire le même cinéma côté Pérou. Allons-nous dire adieu à Triton ?

Nous montons sur les vélos, Triton est à l’arrière dans son carton, nous passons la frontière au milieu de la foule en espérant ne pas nous faire épingler par la douane qui surveille. C’est bon, nous sommes de l’autre côté de la rivière, avec le chien !

Nous devons désormais passer l’immigration et la douane péruvienne. Une nouvelle fois nous omettons la présence du chien. C’est bon, nous pouvons circuler ! Nous sortons de la ville, une dernière frayeur nous attend avec un contrôle policier que nous passons sans problème ! Triton est passé au Pérou contre toute attente ! Ce chien est en train de devenir notre mascotte des Andes. C’est un boulet qui nous donne au final beaucoup d’énergie ! Cela fait 26 jours et près de 950km que nous voyageons avec lui. Il a parcouru environ 400km en courant, le reste dans un carton minuscule et a passé de nombreuses nuit à -5°C. Il ne bronche pas et nous suit sans relâche, même sous-nutri. Ce chien est une force de la nature. De plus il apprend très vite et respecte les règles que nous avons mises en place.

Jour 28 : nous arrivons sur la ville de Puno et tombons sur un contrôle douanier. Ils nous demandent son passeport et ses vaccinations. L’heure est à la négociation. Nous leur racontons l’histoire et disons que nous nous rendons justement à Puno pour l’identifier et le vacciner. Ils nous laissent passer. Nous avons la baraka !


Jour 30 : nous décidons de le ramener en France. Nous nous renseignons sur les modalités. Nous faisons ses vaccins et lui mettons une puce électronique. Seul problème, nous devons faire un titrage d’anticorps anti rabique trois mois avant notre départ pour la France. Cela ne sert à rien de le faire maintenant puisque nous venons tout juste de le vacciner contre la rage. Notre plan est de faire ce dosage à Ayacucho, notre ville d’arrivée, même si nous ne serons pas dans les délais. Nous le lavons aussi…Triton devient un beau gosse ! Nous lui achetons une doudoune, avec nœud papillon rouge à pois blancs s’il vous plait (nous n’avons pas trouvé plus soft), pour les nuits froides à venir.


Jour 43 : catastrophe, Micka écrase Triton ! En entrant dans le canyon Colca, Triton se met en travers de sa roue avant. Micka ne peut l’éviter et lui roule dessus. 120kg contre 4kg pour le chien. Triton crie puis gémit. Micka a peur de lui avoir cassé quelque chose ce qui signifierait la fin de l’aventure avec lui. Il saigne d’une patte et boite. Pauline se met à pleurer. C’est si stupide ! Il ne semble pas avoir de fracture béante à première vue. Nous testons sa marche, il arrive à se déplacer tant bien que mal. Nous désinfectons la plaie et le mettons dans son carton.

Jour 44 : Triton n’a rien à part une plaie. Soulagement total !


Jour 50 : nous atteignons l’altitude de 5101m avec Triton, lequel a encore de l’énergie pour courir après des vigognes ! Nous grimpons par la suite deux autres cols à plus de 5000m.

Jour 74 : notre voyage à vélo se termine à Ayacucho. Nous allons chez le vétérinaire pour faire le dosage des anticorps antirabique. Celle-ci n’existe pas au Pérou ! C’est peut-être au final à notre avantage… Nous aurons une excuse de ne pas l’avoir faite ! Autre problème, les compagnies de bus refusent d’emmener les chiens. Pour atteindre Lima, Pauline part seule avec les deux vélos en bus, Micka la rejoindra plus tard en avion, seul moyen d’emmener Triton avec nous.


Jour 76 : Triton voyage désormais en avion ! Pauline retrouve Micka et Triton à l’aéroport de Lima où ils doivent  patienter 17h avant notre vol. Ils attendent la première étape qui est de sortir du pays avec le chien.

Jour 77 : 1h du matin, nous nous envolons pour le Canada, Triton est à nos pieds !
Nous arrivons à Toronto. Problème, nous n’avions pas prévu qu’on nous ferait passer à la douane ici, ce qui nous vaut une grosse montée de pression. En effet, si Triton venait à être mis en quarantaine ce serait une belle galère pour le voir un jour parmi nous en France. Nous nous approchons donc d’un douanier et nous lui notifions que nous sommes en transit ici et que nous allons bientôt prendre notre vol pour Montréal, puis, que de là-bas nous nous envolerons directement pour la France sans entrer sur le territoire canadien. Procédure normale ou paresse du moment, le douanier ne regarde même pas les papiers du chien et nous laisse passer ! C’est un grand soulagement ! Désormais Triton devrait pouvoir poser le pied en France dans moins de 24h où, selon la règle en vigueur, il devrait écoper d’une quarantaine de trois mois car nous ne sommes en mesure de prouver qu’il est effectivement immunisé contre la rage. Trois mois représentent une durée consensus maximale de l’apparition des symptômes de la rage après exposition. Au-delà, on considère que l’animal est indemne.


Aéroport de Montréal. Triton n’a pas uriné depuis 12h ! Normal puisque nous lui avons interdit de le faire dans les milieux fermés. Micka essaie de l’inciter en allant aux toilettes avec lui. « Allez Triton, fais pipi », la situation est burlesque. Il ne fera rien. Tans pis, nous prenons un stock de papier toilette, il fera quand bon lui semble. Ce moment ne tarde pas et Triton se donne en spectacle devant tout le monde. Pipi puis enchainement sur une belle bouse. Nous sommes définitivement classés dans le groupe des hippies malpropres et mal éduqués. C’est aussi cela les bons moments du voyage, des moments de complicité à trois pas forcément dans un cadre idyllique.

Jour 78 : nous sommes dans l’avion au-dessus de l’Atlantique. Triton est sage comme une image, à nos pieds, dans sa cage réglementaire.
10h du matin, nous arrivons à Lyon. Les hôtesses de l’air remarquent seulement à notre descente d’avion que nous avions un chien ! Nous récupérons nos bagages sans encombre.


La liberté pour Triton est à quelques dizaines de mètres. Nous allons essayer de le faire sortir sans passer par la douane. Micka prend un chariot et met la caisse du chien sous nos deux grosses valises. Pauline prend un autre chariot sur lequel les deux vélos empaquetés dans des cartons sont positionnés. Micka part seul en éclairage repérer où se trouve la douane. Retour aux chariots et petit débriefe : « la douane est sur notre droite quand on sort, on attend qu’il y ait un flot de gens qui sortent, Pauline tu te mets à ma droite avec les vélos pour me cacher ». C’est parti, nous passons devant la douane, puis les portes automatiques s’ouvrent, nous continuons sur le parking pour nous éloigner un peu… Ça y est ! Triton est définitivement adopté !