Jusqu'à 5770m sur un vélo chargé
La préparation
Nous souhaitons grimper la piste carrossable
réputée être la plus élevée au monde et, pourquoi pas, prolonger le défi en
escaladant à pied l’Uturuncu (6008m), le sommet du Sud Lípez (Bolivie). La
piste a été construite pour l’exploitation du soufre, aujourd’hui abandonnée
depuis une trentaine d’années car elle n’est plus rentable.
Monter à 5770m à vélo présente des dangers,
mais nous ne sommes pas pour autant des irresponsables. Nous avons évalué la
faisabilité du projet en fonction de nos capacités. Nous avons mesuré le risque
et l’avons réduit à son minimum en planifiant rigoureusement l’ascension :
acclimatation la semaine précédente avec des nuits à des altitudes de plus en
plus hautes, gestion du poids, de la nourriture et de l’eau, visionnage des
archives de température et du vent sur ce volcan, itinéraire détaillé et points
GPS, lieux de bivouac possibles, etc… Enfin, accepter le risque c’est aussi
accepter l’échec. Nous avons le droit de ne pas réussir et ne pas atteindre ce
sommet.
La
semaine précédente notre ascension nous avons enchainé les cols au Sud Lipez.
Tout d’abord nous avons grimpé le Hito
Cajon (4665m) et dormi à la laguna Blanca (4350m). Le jour suivant nous avons
atteint le paso del Condor (4735m) et dormi à 4390m. Le troisième jour
d’acclimatation nous a emmenés au paso Sol de Mañana (4944m) qui marqua le
début d’une piste complètement défoncée. Nous avons bivouaqué à 4826m sur un
pierrier.
J4,
durant cette journée grisâtre où nous avançons dans le froid et contre le vent
à 7km/h de moyenne nous ne franchissons aucun col. Nous plantons la tente à
4750m. Il a neigé cette nuit-là et nous franchissons un col à 4840m le
lendemain sous une tempête de neige. Nous descendons frigorifiés à Quetena
Chico, un petit village qui sera notre camp de base pour l’ascension de
l’Uturuncu.
L’attente
Journée
repos à Quetena. Nous hésitons à tenter l’ascension. Ici il n’y a pas de météo
et nous n’avons pas de réseau téléphone ni internet pour aller chercher un
bulletin climatique de la région. La neige est fraiche et le sommet de
l’Uturuncu n’est pas visible de la journée. Nous nous préparons néanmoins à
partir demain matin. Nous achetons de la nourriture, nous bichonnons nos vélos et préparons nos sacoches en version allégée
pour demain. Nous laissons notamment notre réchaud et cuisinons un kilo de riz
à l’avance. Au lit à 21h, car demain nous nous levons à 5h du matin.
Debout de bonne heure pour démarrer à 7h. Mais
au lever du jour, vers 6h, le ciel est extrêmement menaçant. Déçus et le moral
dans les chaussettes, nous renonçons à partir aujourd’hui. Nous hésitons à
reprendre la route vers le nord. Nous nous accordons finalement un sursis d’une
journée en espérant tenter l’ascension demain.
L’ascension
Nous partons pour de bon pour le volcan
Uturuncu. Nous sommes sur nos vélos à 7h30. Nous avons pour objectif de dormir
à 5500m, soit une journée de 28km et 1300m de dénivelé positif. Nous sommes
tout de suite saisis par le froid, le compteur annonce -9°C. Mais une fois le
soleil un peu plus haut dans le ciel, la température monte très vite et repasse
dans le positif. En ce début de journée, nous devons traverser plusieurs rivières
gelées. Pour l’une d’elles, j’ai même brisé la glace pour un petit bain de pied
matinal.
Les
quinze premiers kilomètres, qui traversent des étendues d’herbes rassemblées en
touffes, sont en pente douce. Nous croisons des troupeaux de lamas. La piste,
bien que parfois rocailleuse ou sableuse, est toujours praticable. Nous
mangeons à près de 4500m. Nous attaquons désormais les pentes du volcan. Nous
avançons bien. L’Uturuncu est composé de deux mamelons, entre lesquels se situe
un col à 5770m, point le plus élevé où nous
devrions pouvoir nous rendre à bicyclette. Le volcan et ce col sont désormais
dans notre ligne de mire. L’Uturuncu est saupoudré de neige et le soufre colore
les deux cônes en blanc et jaune.
Au kilomètre vingt-cinq, fatigués, nous poussons nos vélos, car sur la selle ou à côté nous avançons au même rythme. Les trois derniers kilomètres sont poussifs. Nous atteignons à 18h l’altitude de 5500m, juste à temps avant le coucher du soleil. La végétation a disparu. Nous plantons la tente et nous refugions à l’intérieur. La température va descendre autour des -15°C dehors et il fait déjà 0°C sous la toile. A cette altitude, nous n’avons ni soif ni faim. Notre repas se compose de riz salé avec des chips, du pain et des biscuits.
Le ciel est parfaitement clair et la pleine
lune éclaire les volcans. Nous nous emmitouflons dans notre duvet et nos
doudounes. Nous nous préparons à une nuit difficile.
Nous nous réveillons à 7h, il fait -9°C dans
la tente, -16°C dehors. Nous attendons un peu au chaud que les rayons solaires
viennent taper sur la toile. Nous avons finalement passé une bonne nuit. Aucun
de nous deux n’a eu froid. Il nous reste environ 3km pour atteindre le col.
Nous allons mettre près de 2h ! La piste est spectaculaire, nous passons
dans des champs de fumeroles qui sentent l’œuf pourri, roulons sur du soufre,
de la neige ou encore de gros cailloux. Nous arrivons bientôt au but, il est
11h. Du gaz sort d’anfractuosités du sol et de petites flaques de boue. Nous voilà
au col à 5770m !
Le vent est tellement violent qu’il est
difficile de manger. Nous grignotons quelques biscuits et attaquons le sommet à
pied. La pente est raide mais le chemin sans danger, mis à part quelques centaines
de mètres et le passage d’une brèche rocheuse. Le vent est si fort qu’il nous
fait tomber. A court de souffle, nous faisons quelques pauses.
Nous atteignons le sommet du Sud Lípez après
une petite heure de grimpette. 6008m ! Pauline pleure et Micka a la larme à
l’œil. C’était un rêve, c’est devenu une réalité. Une réalité rendue possible par notre amitié. Sans elle, nous ne serions pas là aujourd'hui.