Ascension du Puyehue (Chili)


Lever à 9h passées. Très vite le camp est envahi de centaines de taons. C’est uniquement près du feu que nous avons un endroit un peu protégé pour quelques moments de répit. Le pliage de tente est donc épique avec notre compagnon de route Ben. Nous prenons la route à la fois au bord de la crise de nerfs et du fou rire tellement la situation est irréaliste. Imaginez que vous êtes dans votre voiture et que vous croisez trois cyclistes, deux faisant tourner une serviette autour d’eux pour éviter les piqures, l’autre crevant de chaud sous son parka waterproof mais aussi, et surtout, piqûre proof. J’ai choisi personnellement la solution du sauna intérieur.

Ben et la technique « on fait tourner les serviettes » pour chasser les taons

Qu’est-ce que je fais là ?! Quel plaisir à pédaler dans ces conditions épouvantables ? Le vagabondage vélocipédique permet de se poser ce genre de questions. Plongé dans un long silence, je réfléchis à ce qui fait sens pour moi. Parfois je reste muet pendant plusieurs dizaines de minutes alors que je suis en pleine réflexion intérieure. Depuis le début, le plaisir éprouvé sur le vélo a connu des hauts et des bas. Mais des hauts extrêmes et des bas extrêmes. J’ai touché le fond face au vent du sud patagonien, sous la pluie de la Carretera Austral et maintenant, face aux insectes. Mais j’ai eu des moments d’anthologie sous la neige de Terre de Feu, sur l’île Navarino, à l’approche des Torres del Paine, lors de cette descente vertigineuse vers le lac turquoise de Villa O’Higgins sur fond de montagnes saupoudrées, ou encore lors de notre seule journée le long de l’océan Pacifique… Bref nous passons par des sentiments exacerbés dans un sens comme dans l’autre. Peut-être même que les mauvais moments servent de catalyseurs pour jouir encore plus du meilleur…

Après seulement 20km, nous clôturons officiellement la journée la plus courte à vélo depuis le début ! Il est taon de se barricader dans la tente afin de profiter de ce qui nous reste, à savoir la nourriture et la musique.

Le lendemain…

Nous partons à l’assaut du volcan Puyehue (2236m) vers midi et demi. 1900m de dénivelé positif nous attendent. Des dizaines de taons nous accompagnent au début, puis plus rien alors que nous montons dans la forêt, et à nouveau des taons lorsque le sommet est en vue. Je qualifierais cette virée de « kilomètre vertical » comme on dit dans le monde du trail. La balade se résume en une seule montée à fort dénivelé, surtout sur la fin. 

Ascension en cours

Avec nos sacoches-sacs à dos pour vélo sans le moindre confort et la tente que nous portons à la main, la montée n’est pas aisée sur la pente extrême des deux derniers kilomètres revêtus de cendres et de scories. Petit à petit nous nous élevons au-dessus de la région des lacs, les taons disparaissent, et nous atteignons, lessivés, le sommet vers 18h. 

Le ciel est dégagé et la récompense est à la mesure de l’effort effectué : une vue à 360° sur la région et les nombreux stratovolcans. Le volcan présente, en son centre, une caldeira remplie de neige d’un peu plus de deux kilomètres de diamètre. A quelques kilomètres du Puyehue, le Cordón Caulle est une fissure volcanique entrée en éruption en juin 2011. Celle-ci a produit d’importants panaches de cendres ainsi que des nuées ardentes. Les cendres sont retombées jusqu’à Bariloche en Argentine, provoquant la mort des forêts environnantes et la fermeture ponctuelle du col du Cardenal Antonio Samoré que nous allons grimper dans quelques jours. Cette éruption a aussi produit une coulée d’obsidienne de trente mètres d’épaisseur toujours chaude. Nous pouvons encore apercevoir au loin des fumeroles.


Du sommet nous avons un panorama élargi sur les volcans Osorno (2652m), Puntiagudo (2498m) et Cerro Tronador (3554m) au sud, les lacs Llanquihue, Rupanco et Puyehue à l’ouest, les volcans Choshuenco (2415m) et Lanín (3776m) au nord et les montagnes argentines beaucoup plus arides à l’est.

Les locaux nous avaient dit qu’on pouvait bivouaquer au sommet. En réalité, c’est très exposé et il n’y a rien de plat. Nous hésitons à redescendre 4km plus bas ou rester ici la nuit. Finalement, nous décidons de monter un mur à une centaine de mètres en-dessous du sommet. Celui-ci va nous permettre de nous protéger du vent et de ne pas avoir à monter la tente qu’il serait difficile de planter sur ce terrain rocheux et qui risquerait de s’envoler en cas de tempête. Cela nous permet surtout de prolonger le plaisir. Nous dégustons encore une fois un nouveau coucher de soleil. Nous les enchainons depuis la fin de la Carretera Austral et nous devons avouer que les crépuscules par temps clair sont l’un des points forts de cette région.


Il est 22h passées, il est l’heure de se mettre en mode survie pour passer une nuit correcte aux alentours de zéro degré. Nous posons la tente, que nous ne montons pas, et nous nous glissons par l’une des entrées. La toile de tente est une couche supplémentaire par-dessus notre duvet pour nous protéger du vent. Ça y est, nous sommes blottis à trois l’un contre l’autre et, sans aucun effort, nous pouvons observer la voute céleste qui s’illumine sans aucune pollution lumineuse citadine.

Le lendemain…

Le vent a un peu soufflé et nos sacs sont couverts de poussière. Nous assistons au lever de soleil,  mais nous trainons jusqu’à près de 10h dans nos duvets. Petit tour au sommet: la vue est toujours dégagée. La montagne nous appartient depuis hier soir ; nous n’avons encore vu personne.

Nous devons redescendre… une descente qui nous parait interminable à cause de la fatigue et du manque de nourriture. L’heure est désormais au repos, un moment très apprécié après cette belle ascension réussie.